Anton Brender, ancien directeur du CEPII, économiste de Dexia Asset Management, Professeur associé d’économie à l’Université de Paris-Dauphine, a écrit en 1998 un petit livre (122 p) intitulé « La France face à la mondialisation ». Très pédagogique, il explique en professionnel ce qu’il en est de notre pays. Le plus intéressant est que ce petit livre en est à sa 5ème édition, revu en 2002 puis en 2004, dans la collection « Repères » des éditions La Découverte. C’est bien le signe que les Français s’intéressent à ce qu’il faudrait faire au lieu de se crisper sur des Zacquis qui deviendront bien vite illusoires si la croissance continue à stagner. Dominique Strauss-Kahn a donné à ce livre une préface de 5 pages en 1998. Intelligente et optimiste, elle reste d’actualité. Nous avons en 18 lignes les 15 mots les plus ressassés de la sinistrose ambiante. Par ordre alphabétique : affronter, alarme, craignent, crainte, complexe, condamné, contesté, défavorable, difficultés, dissoudre, échappent, perdants, pessimisme, privé de, redoute. On conviendra qu’en un paragraphe si ramassé, étaler ainsi toutes les angoisses, névroses et refus médiatiques a quelque chose du tour de force !
C’est contre cette sinistrose (qui n’a pas lieu d’être) que s’élève avec pédagogie Anton Brender. Il écrit simplement, utilise des anecdotes, est facile à comprendre. Les Français, malformés à l’économie et déformés par la prosternation devant le Tout-État-Papa en ont bien besoin. Pour lui l’économie est un moyen de mieux vivre grâce à une productivité accrue. L’outil le plus efficace de l’économie est le capitalisme, notamment financier, qui déplace les risques de l’activité vers ceux qui sont prêts à les prendre. Mais cet outil ne peut être optimal que là où un terreau favorable existe : une société organisée, éduquée, stabilisée par un réseau démocratique. Le sentiment d’impuissance des Français face à « la mondialisation » vient de ce que les politiciens n’ont pas fait leur travail (« pris leurs responsabilités » comme l’ânonne la langue de bois). La croissance marche sur deux jambes, l’offre et la demande : si ceux qui travaillent deviennent plus productifs sans dépenser davantage, la croissance stagnera et il y aura plus de chômeurs. C’est exactement ce qui est arrivé sous la droite... comme sous la gauche ! Cette dernière a cru partager la pénurie en réduisant le travail durant la vie (retraite à 60 ans) et la semaine (35 h). A niveau de rémunération égal, la productivité étant déjà très forte grâce à l’informatique et aux réorganisations dues au passage à l’euro et à l’an 2000, l’ajustement s’est fait par l’emploi…
Pour l’auteur, la finance n’est pas une menace mais un défi pour l’action publique. « Sans une finance maîtrisée, la poursuite du progrès social est impossible. » Trois parties donnent un ton dialectique à l’exposé : le chemin parcouru, des vents nouveaux, un cap à tenir. Les atouts de l’Europe existent (productivité élevée, accord sur les règles sociales, paix civile), les menaces sont claires (investissements à faire, efforts de recherche, lutte contre l’exclusion qui délite le tissu social). La richesse de l’Europe n’est pas née de la pure concurrence mais du lien entre l’outil capitalisme et les forces sociales. Ces liens ont permis la hausse du niveau de vie, donc une meilleure productivité et de nouveaux débouchés intérieurs ! La mondialisation a trois aspects aujourd’hui : l’émergence des pays du Sud, la pression des marchés financiers et l’impact de l’Europe. Si les délocalisations nous font perdre des emplois industriels, nous gagnons en revanche des marchés (Airbus, nucléaire, luxe, agroalimentaire) et le tertiaire se développe. La globalisation connaît des ratés parce que le crédit international est trop lié aux fluctuations des taux d’intérêt en dollar. Les marchés financiers sont bien sûr agités de mouvements de panique ou d’engouements comme Joseph Stiglitz l’a bien montré.
C’est aux autorités publiques de piloter, comme elles savent le faire. Brender cite notamment l’atterrissage en douceur de l’économie américaine par Alan Greenspan en 1994 et sa relance 2002 pour contrer les effets du 11-Septembre. La Banque Centrale Européenne pourrait utilement s’en inspirer. Et il est dommage que la politique budgétaire commune, entre les mains des Ministres des Finance des pays de la zone euro, reste timorée et bien trop souvent crispée sur les avantages nationaux.
La dernière partie explique comment faire face à la mondialisation. Tous les besoins ne sont pas satisfaits, des inégalités fortes toujours présentes, ce qui implique de poursuivre la croissance (contrairement à ce que croient certains écolos). Faire face au vieillissement de la population implique de financer les retraites que le système myope de la seule répartition ne suffira pas à maintenir (contrairement à ce que croit la CGT). Cela exige de nouveaux gains de productivité pour que la hausse des cotisations puisse être absorbée et que l’épargne capitalisée puisse fournir le surplus (ce qui implique de nouvelles rationalisations, donc de la flexibilité et de la place pour l’initiative). Mais, pour éviter une hausse du chômage, la productivité doit s’accompagner d’emplois nouveaux (contrairement à l’idée malthusienne qui a conduit aux « 35 h »).
C’est là où l’Etat doit réfléchir sur les secteurs d’excellence et orienter les investissements (contraire à la suppression de cet instrument de prospective et d’échanges que fut le Plan). « Si nous voulons garder notre richesse, il faut consolider les infrastructures sociales, moderniser les dispositifs de solidarité, rénover les grands appareils sociaux (éducation, santé, justice, ville). » La préservation des services publics facteurs d’intégration sociale ou de compétitivité est importante, mais « le danger le plus pressant dans la période actuelle tient à l’érosion de notre capital social. Pour l’enrayer, il faut trancher des questions délicates et ouvrir des voies nouvelles : redévelopper les banlieues, réinsérer les exclus, accepter les privatisations pour dégager pour l’État des moyens, transformer la Sécurité sociale. » Pour les gouvernements présent et à venir, il y a du travail !
En bref, si vous voulez vous initier à l’économie de notre monde, lisez ce petit livre.
Argoul, blog fugues & fougue
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